Objet: Que fait l'Etat français le 10 mai: Commemoration des memoires de la traite negriere, de l'esclavage et des abolitions?
Monsieur le President de la Republique,
Le 10 mai prochain, la République se souviendra pour la 3eme fois des memoires de la traite negriere, de l'esclavage et des abolitions. Cette date est surgie de la memoire de la resistance à l'esclavage et de l'engagement citoyen contre l'oubli. Cette mémoire de la résistance, incarnee par le Colonel Louis Delgres en Guadeloupe dans sa proclamation du 10 mai 1802, est le principal enjeu de l'engagement memoriel de citoyens français, ou non, unis par une commune volonte de valorisation des apports de la diversite.
Si la Republique a toujours eu une mémoire de l'abolition, elle s'est gardee pendant longtemps, d'inscrire dans le récit national l'engagement des esclaves, femmes et hommes, qui ont refuse l'asservissement et par la leur contribution à la liberte et aux droits de l'homme.
Le combat citoyen des associations depuis des annees dans les ex-ports negriers d'abord (Nantes, Bordeaux) a envahi l'espace public national à la fin des annees 90 lors du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Relaye avec vigueur et talent par la Depute Taubira, il aboutira à la loi du 10 mai 2001 déclarant la traite des noirs et l'esclavage: Crime contre l'Humanite.
Depuis c'est le point-mort. L'Etat fait le service minimum. En effet, à part la ceremonie au Jardin du Luxembourg, les Commemorations dans les ex-ports negriers portees par les associations bien avant, il n'y a rien.
Les citoyens français ne peuvent se suffire de ce manque d'ambition, de cette tremblotante perception des enjeux que pose la mémoire de la traite des noirs et de l'esclavage. Le combat n'est pas fini. Rien n'a été résolu. La tension n'est pas relâchée. En effet, si la realité de l'esclavage est ancienne, l'angoisse sociale et politique que constitue sa memoire, qui transcende les frontieres socio-raciales ou nationales, est revelatrice d'un nouveau moment d'intégration nationale.
Car l'esclavage et la colonisation sont les principaux instruments de construction historique des differences raciales et culturelles et par consequent de l'injustice et des discriminations. Les emeutes de 2005 et de 2007 ont prolonge cette ligne de fracture, voilee tres vite du manteau narcissique d'une culture politique mystificatrice et introuvable, aux antipodes de l'ideal republicain, qui se nourrit lui de cette tension dynamique pour évoluer.
Depuis, contraintes de plus en plus évolutives et epreuves pesent sur les populations issues de cette histoire et sont vecues comme des humiliations illustrant l'impasse intellectuelle d'une elite incapable de sortir de la suspicion originelle.
Pour eviter que cette jeunesse, ecartelee entre incitation à l'amnesie, violence du marche et droit à la memoire, ne s'enferme dans le regard qu'on porte sur elle, il faut, Monsieur le Président de la République, une Rupture.
Une volonte politique forte pour la transmission de cette mémoire en traces partageables, donc universelles.
D'abord et avant tout par l'Education. Malgre les recommandations du Comite pour la Memoire de l'Esclavage de Maryse Conde et Françoise Verges, notre système éducatif reste à la remorque. Tres peu de nos enfants savent qu'il a fallu la Revolution Haitienne de 1791 pour que les droits de l'homme soient réellement universels. Dans les milieux universitaires, le conformisme, pire que la censure, fait encore de cette question un tabou malgre les coups de butoir des etudes postcoloniales. Aucun enseignement n'y existe a l'UFR d'histoire de Bordeaux, par exemple.
Nous vous demandons, Monsieur le President de la Republique d'annoncer une volonte forte, en concertation avec l'Education Nationale pour en faire une priorite.
Ensuite par la Commemoration. Les rares ceremonies officielles, expeditives, frustrent plus qu'elles ne reconnaissent. Pourtant la commemoration est indispensable. Par les rituels et les symboliques, elle scelle l'imperatif d'unite politique mais surtout poetique des destinees que l'histoire a mis brutalement en contact. Un Etat se doit coherence.
Nous vous demandons, Monsieur le President de la Republique, d'enjoindre toutes les Prefectures de Metropole à organiser une Ceremonie Officielle Republicaine le 10 mai.
Enfin au niveau Citoyen. Les militants associatifs de toutes origines socio-culturelles sont aussi producteurs de savoirs et de citoyennete. Dans nos villages et villes, ils constituent le rempart le plus solide contre la barbarie, pour la mémoire, la citoyennete, le respect des differences et l'unité politique.
Nous vous demandons, Monsieur le President de la Republique, d'inciter les Prefectures à degager un Budget consequent pour soutenir les multiples initiatives citoyennes, sur tout le territoire, souvent étouffees dans l'œuf.
Education, Commemoration et Citoyennete. C'est le triptyque gagnant du dynamisme republicain. La France est robuste. Nul ne sera opprime. Aucune vengeance à l'horizon.
Et qu'on ne brandisse plus les epouvantails ridicules de « concurrence des memoires » et/ou de « repentance ». Il s'agit de fraternite et d'universalisme. Les travailleurs de memoire savent ce qu'ils doivent au devoir de mémoire. Ils savent que le besoin de ne pas rester fixe à l'événement traumatique l'emporte, que le désir de le reinscrire dans des traces de memoire partageables, est majoritaire.
En conclusion, Monsieur le President de la Republique, si la reconnaissance est la seule façon de sortir de l'oubli des memoires blessees, elle ne peut suffire. La reconnaissance ne peut qu'etre un prealable à l'action en conscience d'où naitra un citoyen nouveau, par besoin interieur et non par loi ou octroi.
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